Recherche sur les acquisitions massives de terres en Afrique de l’Ouest

Une première journée d’atelier : les restitutions

lundi 18 février 2013

12 février 2013, Abidjan

Ce sont des milliers de kilomètres de transports qui désormais, ne séparent plus ces 25 personnes qui se réunissent au centre d’Abidjan afin de rapporter le résultats de nombreuses heures de travail qui furent réalisées dans les derniers mois. Tous ont le même objectif ; celui de réaliser une étude innovatrice sur l’acquisition des terres en Afrique de l’Ouest. Dans un esprit bon enfant, mais rigoureux, tous attablés, chercheurs, journalistes, enseignants, venant de tous les coins de l’Afrique de l’Ouest et du Canada, discutent avec enthousiasme. Entre chants de coqs, caméra vidéo, batterie insuffisante, prises de notes et rigolades, nous nous affairons à commencer cette longue, mais palpitante journée.

Après de brèves présentations de tous, monsieur Éric Chaurette, de l’Organisation Inter Pares, introduit la problématique ainsi que le projet d’étude en son ensemble. Et déjà, les interventions s’activent au sujet de la définition des « acquisitions de terres » et des choix méthodologiques qui semblent être divergents d’un pays à un autre.

Restitutions d’inventaires : Bénin, Côte d’Ivoire et Togo
Suite à une brève présentation de monsieur René Segbenou, chercheur principal pour sa terre d’origine, le Bénin, mais aussi pour le Togo est la Côte d’Ivoire, l’on débute la présentation des restitutions d’inventaires. La présentation de ce dernier pays fût réalisée par Bamba Mamadou. La Côte d’Ivoire nous a permis de nous questionner sur la question de l’acquisition des terres réalisées au sein même des familles. Pouvons-nous considérer cela comme un accaparement ? Selon Bamba Mamadou, lorsque cela est fait sans l’accord de l’ensemble de la famille ou du groupe d’utilisateurs, cela peut, oui, être considéré comme une acquisition. Monsieur Macky Ba ajoute, que selon lui, en Côte d’Ivoire, c’est la question du foncier qui a toujours été la source des conflits au sein du pays. Monsieur Francis Ngang, d’Inades Formation, souligne que dans le cas de la Côte d’Ivoire, des études d’inventaires devront être poursuivies dans la prochaine année, puisque la crise politique ivoirienne de 2011 ne nous permet pas de voir l’ampleur réelle qu’aura ce phénomène en Côte d’Ivoire.

Pour le Bénin, c’est monsieur Valéry Lawson qui présente des résultats exhaustifs. Les résultats présentés démontrent, qu’au Bénin, les terres se vendent de 18 000 à 700 000 FCFA l’ha. Les prix varient selon le niveau de développement des régions. Les principales conclusions sont que le phénomène, mais surtout ses conséquences, sont peu connues par les communautés. La majorité des acquéreurs est constituée des nationaux. Finalement, l’on souligne la présence de quelques initiatives d’ONG et de collectivités territoriales pour freiner le phénomène. Le nouveau code qui vient d’être voté fait en sorte qu’à partir de 2 ha., le projet doit être soumis au Conseil communal avant que vous soyez autorisé à acquérir des terres. La société civile s’active constamment afin de faire partie des discussions de l’évolution du code foncier béninois.

Dans les 84 cas recensés au Togo, ce sont les régions maritimes et du plateau qui sont les plus touchées, puisque les terres y sont plus fertiles indique Adéssou Séna, chercheur pour ce pays. La superficie maximale acquise au Togo est de 800 ha, dans la région des plateaux. Le coût maximal est de 700 000 FCFA toujours dans cette même région, et minimum 45 000 dans la région des Savanes. La principale utilisation de la terre après la vente est la spéculation (60,2 %), le reste est utilisé aux cultures agricoles et aux exploitations minières. Intéressant, au Togo, il semble que les années 2000 et 2011, ont été les années pic des acquisitions. Pourquoi ? L’on explique le pic de 2000 par le calme qui a fait suite aux chancellements des années 1990. 2011, est expliqué par la crise financière de 2008. « […] on peut avoir une crainte pour les années à venir. […] ce phénomène évolue à une grande allure, au regard de la petitesse de la superficie du Togo. […] ». C’est après quoi, le chercheur demande à un plus grand patriotisme des nationaux togolais pour éviter une autre montée en force du phénomène. Car pour lui, les impacts s’annoncent importants, notamment dans pour les conflits intercommunautaires et familiaux, mais aussi quant à l’avenir de l’agriculture familiale. Pour lui, il y aura évidemment une évolution dans les pratiques et investissements. Ce type d’agriculture va évoluer, d’où l’importance des études d’impacts, mais aussi, souligne-t-il, d’un plan de communication cohérent pour alerté le public et les communautés.

La place des femmes dans le phénomène
Sont aussi présentes, deux représentes de la Newfield Fondation, Daol Sibiri, ainsi que madame Mariamé Traoré. Cette dernière rajoute au propos du chercheur togolais en soulignant l’importance de porter une attention à ce que l’on envisage comme plaidoyer afin qu’il balise bien les besoins et droits des communautés. Mais le point sur lequel les deux militantes reviendront sera celui de l’importance de faire une désagrégation des acteurs afin de mettre de l’avant la place des femmes dans le phénomène. La Côte d’Ivoire souligne qu’elle n’a pas exercée une telle désagrégation, le Togo a recensé un cas où une femme a vendu. Cette dernière a vendu la terre suite au décès de son mari. Le chercheur souligne qu’elle n’a pas été instrumentalisée. Le Bénin indique qu’il a fait ce recensement, que très peu de femmes ont été formellement participantes à la vente. Les représentes de NFF ont martelé toute la journée que c’est cette information qu’il faut analyser.

Terres « non-exploitées » et « mise en valeur »
Joan Baxter, « journaliste engagée » interpelle Adéssou Séna, quant au terme « non-exploitées » (utilisé par la Banque mondiale (BM), termes à connotation capitaliste). Madame Baxter souligne que la BM réalise actuellement des recherches pour dénombrées ces terres dites non-exploitées qui ne prennent pas en compte la réalité « africaine » agricole, de cueillette, de pastoralisme, etc. Le chercheur ne pouvant pas répondre à la question, Joan Baxter a renchéri : « Dans tous les pays ont voient des chiffres qui sont données par chefs d’État, investisseurs, mais on ne trouve jamais la source de ces données. La plupart du temps, on réalise que ce sont des terres en jachère. C’est un terme très dangereux ». Assétou ajoute que ces gens qui donnent ces chiffres ne connaissent pas le terrain. Ils ont une certaine vision des activités qui peuvent être réalisées sur les terres. Ne retrouvant pas ces activités sur le terrain, ils les qualifieront d’activités informelles. C’est donc un manque de connaissances du terrain et une vision néolibérale qui va influencer ces chiffres : « Ce ne sont pas des terres vacantes, ce sont des terres qui ont un rôle existentiel, c’est là-bas que nous avons nos croyances, nos fétiches, peu importe notre religion. C’est là-bas que nous avons nos repères ». Joan Baxter ajoute l’élément écologique de ces terres qui sont dites « vacantes ». Voilà pourquoi l’on remet ensuite en question le terme de « mise en valeur ». Quelle mise en valeur ? Car, la valeur culturelle, traditionnelle et écologique n’est pas prise en compte. Madame Joan Baxter et Idrissa Diamaké nous ont d’ailleurs entretenus sur ces questions dans une vidéo que vous pourrez consulter en mars prochain.

Restitutions d’inventaires : Burkina Faso, Guinée et Niger
Mamamou Goïta a supervisé la recherche et les inventaires au Burkina Faso, en Guinée et au Niger. Il rappelle que ce n’est pas la taille qui détermine l’accaparement des terres, mais l’usage qu’on en fait et les impacts sociologiques. Après avoir indiqué que nous avions pris du retard et qu’il fallait abréger les présentations, Mamadou a passé la parole à Aline, la chercheure qui a fait l’inventaire sur le Burkina Faso. Celle-ci précise les difficultés d’obtention des informations dans ce pays, et que les superficies allouées ont seulement estimées.

Aline présente le contexte agricole du Burkina, un pays ou le secteur agricole emploie 92% de la population active. On dénombre 5 747 602 ha acquis, soit 63% des superficies cultivables, ce qui est énorme pour un petit pays comme le Burkina. Si les surfaces minières acquises par des entreprises sont exploitées, ceux qui acquièrent des terres individuellement (fonctionnaire, personnes physiques) ne les exploitent pas en totalité. Elle précise que l’agro carburant est une production très développée au Burkina. Les motivations des vendeurs sont encore une fois, la pauvreté, la recherche de cohésion familiale, mais aussi la mauvaise interprétation des textes de lois. Selon le cadre foncier, la terre appartient à une personne qui l’utilise pendant un certain nombre d’années. Les prêts et les locations reconnus ou prouvés de terres ne peuvent en aucun cas être constitutifs de faits de possession foncière rurale, mais en réalité, l’usage de la terre est issu d’un accord tacite oral qu’on peut réinterpréter à sa guise. D’ailleurs, l’État favorise l’agrobusiness en aménageant des terres pour les mettre à disposition des entreprises, en expropriant les paysans. La possession de terres n’est donc pas réellement accessible à tout le monde. Elle est destinée à ceux qui ont beaucoup de capitaux.

De ce fait, les communautés perçoivent l’orientation de l’État comme étant mauvaise. Bien que le Burkina soit le premier à adopter des textes, il est le dernier à les mettre en pratique selon Aline. Dans ses conclusions, elle mentionne qu’il faut couvrir toutes les zones, mesurer les retombées réelles de ces occupations massives, mesurer l’ampleur des pertes subites par les populations lésées et dégager des pistes d’action de plaidoyer.

Mamadou Goïta prend à nouveau la parole pour présenter deux pays avec des textes juridiques opposés. Selon lui, la Guinée possède peu de textes de loi foncière, et le Niger en possède beaucoup. D’ailleurs, il existe au Niger une commission foncière qui permet de prendre des décisions et de réguler le foncier.

En Guinée, il y a sept localités différentes où les acquisitions ont lieu selon différentes modalités. Les dons constituent la très grande majorité des acquisitions de terres avec étonnamment l’échange de noix de colas lors de cérémonies spirituels. Les coûts moyens sont difficiles à déterminer puisque dans tous les cas, ces cérémonies traditionnelles ont été organisées pour la donation de terres. Bien que la question des mines ne faisait pas partie de notre question de départ, elle est importante notamment de le cas de la Guinée.

Puis au Niger où huit régions sont concernées, l’expropriation constitue la forme dominante d’acquisitions de terres. La grande majorité des régions fonctionnent sous le régime coutumier, mais il existe aussi une loi foncière qui est d’une densité extraordinaire. Il y a beaucoup plus de zones pastorales qui font l’objet d’accaparement. On construit des habitats suite l’installation de mines etc. Enfin, Mamadou précise là aussi, qu’il souhaite mettre l’accent sur les itinéraires et les profils des démarcheurs.

Restitutions d’inventaires : Mali, Guinée Bissau et Sénégal
Assétou présente les derniers chercheurs qui partagent leurs inventaires pour la journée. Elle mentionne que durant les inventaires du Mali et de la Guinée Bissau, ces pays traversaient des moments instables, mais que malgré tout, les résultats sont là.
Paula Fortes nous présente la Guinée Bissau, le plus petit pays de la série avec 27 700 km2, en enlevant les fleuves et mers. On y dénombre environ 90 îles et îlots (dont les plus importants constituent l’archipel des Bijagos). Les recensements ont eu lieu dans 3 provinces, du nord, de l’est et du sud, à Bafata, Bolama-Bijagos, Oio et Quinara. Dans le cas de la Guinée Bissau, la loi est également existante, mais elle est peu connue et peu appliquée. Il a été difficile de recenser des informations pour cette première étude dans le genre en Guinée Bissau. Il y est impossible de filmer, les autorités étatiques sont difficiles à contacter et leurs motivations et perceptions sont collectées dans la communauté. Cependant, le résultat a suscité l’enthousiasme, en particulier d’Assétou et d’Éric Chaurette, de par son originalité et l’importance accordée à la valeur symbolique de la terre pour les habitants de ce pays. Pour Éric Chaurette, cela reflète bien la valeur symbolique et spirituelle de la terre, mise en opposition avec la vision mercantiliste. Pour Assétou, les populations qui ne se battent pas, ne croient pas en qqch de fort, ils n’ont pas d’assises psychologiques. Elle donne l’exemple d’une île qui depuis des années est inhabitée mais sert de réserve naturelle d’aliments pour les habitants aux alentours. Cette île est devenue possession privée d’un acquéreur français, et depuis les autochtones y ont difficilement accès.

Souleymane Dialla nous parle du cas du Mali dont la population rurale est de 70 %. Le pays est traversé par deux fleuves majeurs, le Niger et le Sénégal, autour desquels se concentrent des terres fertiles attirantes pour les acquéreurs. Il existe des chiffres contradictoires sur l’Office du Niger : 800 000 ha selon PARENA, 700 000 ha (Adamczewski, 2012) et 300 000 ha (FARM, 2012). Cependant, aucune étude sérieuse n’a été faite sur les zones hors office du Niger, ce qui confirme l’absence d’information dans notre revue de la littérature. Pour Assétou, même si l’office du Niger existe depuis bien longtemps, des données ont été faussées pour rendre la région attirante pour les investisseurs : il est important de clarifier quels types d’acquisitions ont réellement eu lieu.

Sidy Ba nous présente le Sénégal avec dynamisme qui fait transparaître sa connaissance du terrain. Il rappelle qu’au Sénégal, 3,8 milliard d’hectares de terres sont cultivables (soit 20% de la superficie totale du pays). Mais la loi en vigueur sur le domaine nationale de 1964, ne favorise pas les acquisitions massives des terres. Il y a un processus de réforme en cours car depuis 1976, les grandes institutions financières (Banque Mondiale, FMI) poussent le Sénégal à adopter des politiques foncières facilitant les ‘investissements’. En effet, ce sont des politiques économiques comme la GOANA et la REV, et non le cadre foncier, qui encouragent l’ouverture des marchés. Au niveau étatique, la promotion de l’investissement privé fait dans le ‘flou obscure’ en prétendant que les exploitations familiales peuvent cohabiter avec l’agrobusiness. Sidy Ba termine avec une liste de recommandations, avec notamment le renforcement de forces positives de la résistance, et la promotion de la cohésion sociale locale.

Principales conclusions de la journée
La revue de la littérature que l’on a fait traitait davantage des acteurs internationaux dans le phénomène des acquisitions des terres, nous avons constaté dans l’ensemble des inventaires que l’acquisition par les nationaux avaient été un point de focus important et une préoccupation cruciale pour les chercheurs. Les démarcheurs (intermédiaires) sont des nationaux et il est relativement lucratif de le devenir. Madame Kadidja a souligné que la plupart des démarcheurs sont des jeunes scolarisés en Côte d’Ivoire. Monsieur Segbenou et Valéry Lawson souligne qu’il est important de concevoir une base de données pour tous les pays afin de recenser des données quantitatives, et de voir comment le phénomène a évolué au cours des années. Françis Ngang souligne qu’il faut faire attention à la crédibilité des sources d’information. Pour toutes les études qui ont soulevé des périodes d’augmentation accrues des acquisitions de terres, on dénote que ces moments forts ont lieu suite à des crises politiques et/ou économiques, ou suite à la signature d’accords économiques bilatéraux et/ou multilatéraux. De plus, M. Diabaté indique que si on ne fait pas attention, on pointera du doigt des ressortissants du pays, des habitants de certaines régions (comme on l’a fait pour les acteurs étrangers auparavant, à tort). Enfin, les critères de choix pour les pays où auront lieu les études de terrain sont : l’ampleur du phénomène (superficie concernée significative), l’utilisation, l’origine des acquéreurs, la facilité d’accès à l’info, et le recensement de documents officiels (baux, contrats).