Recherche sur les acquisitions massives de terres en Afrique de l’Ouest

Jour 6 : Village d’Ayénouan

lundi 8 avril 2013

17 février 2013, Village d’Ayénouan, Aboisso

Le 17 février dernier, nous avons rencontrés les communautés d’Ayénouan, un village d’Aboisso qui accueille la compagnie ; son usine, sa pépinière et ses plantations. D’entrée de jeu, les membres de la chefferie nous indiquent qu’ils sont attristés du fait, que malheureusement, nous arrivons trop tard. L’usine « possède » actuellement 42 hectares à une très proche proximité du village. Sur ces 42 hectares existent actuellement les fondations de l’usine qui n’est toujours pas en production et une pépinière de plants de palmiers à l’huile. Pour l’usine, les gens sont inquiets des impacts environnementaux et du faible niveau d’embauche des membres de la communauté. Pour la pépinière, ils regrettent ne pas avoir été informé de sa réalisation, et aurait aimé recevoir des redevances de celle-ci.

L’entreprise X (pour des questions légales nous ne divulguons pas le nom des entreprises impliquées) a demandé à la population de constitué un comité de villageois pour faire les négociations. Les jeunes considèrent cependant qu’il s’agit d’une stratégie afin de faire bouclier entre l’entreprise et les réelles demandes de la population.

Selon les populations, le mécène de l’environnement aurait pris une décision sans l’accord des populations. « Quand on a voulu nous plaindre, on nous a dit que non, que les études environnementales avaient déjà été réalisées et que le dossier était bouclé » affirme l’un des notables présent. Cela fait ainsi six ans que les populations travaillent à un protocole d’entente, sur lequel ils citent leurs différentes demandes. Cependant, la tête de l’entreprise change constamment, alors à chaque fois ce sont des discussions à recommencer. De plus, l’entreprise leur a demandé de se trouver un juriste afin d’authentifier leurs documents. Malheureusement, après avoir payé un avocat 200 000 FCFA pour l’ouverture de dossier, ils n’ont plus jamais eu de nouvelles de ce dernier. « Quand c’est comme ça, on ne sait plus où aller », le préfet aurait affirmé qu’« un Dula n’a pas le droit à une terre ici ».

Pour ce qui est des plantations, l’entreprise X a plus de 2000 ha. dans la région. La chefferie indique que certains de ces propriétaires terrains qui ont fait des contrats avec X pour leurs plantations ne sont pas satisfaits puisqu’ils n’ont pas reçu les dédommagements promis. Il semble que des contrats ont été signés pour les parcelles de la plantation.

L’entreprise a promis, oralement, plusieurs éléments pour le développement du village. Qu’ils allaient donner des plants de palmier à l’huile aux planteurs, qu’ils allaient construire un foyer des jeunes, reconstruire le dispensaire, etc. Rien n’a été réalisé pour l’instant. Lorsqu’il y avait des plants sur les terrains, il y a eu des dédommagements. Mais, il n’y avait pas de critères établis. Ce sont des montants forfaitaires. Pour ce qui est des emplois, ils ont affirmé qu’à diplôme égal, ce serait les gens du village qui seraient employés.

Ils sont à 12 kilomètres de l’usine de Doa, pourtant ils entendent les bruits de l’usine. Donc, une usine à quelques mètres aura certainement des incidences sur leur qualité de vie notamment par rapport à l’odeur que la pâte dégage, la population a peur que les arbres en soient affectés, mais aussi la biodiversité des cours d’eau environnants.
Pour les plantations, ils ont plus de 2000 ha. , les contrats sont des baux emphytéotiques de près de 90 ans. Ces baux fonctionnent sur le principe de « planté, partagé ». L’entreprise à deux tiers de la parcelle du propriétaire, le paysan un tiers. Il n’y a pas d’argent donné avant l’entrée en production et il faut retirer l’investissement effectué.

Auparavant, les planteurs produisaient l’hévéa, le palmier à l’huile, le café ainsi que le cacao. Cependant, ils avaient la possibilité de produire le manioc, le maïs et toute autre culture vivrière, entre les plants. Actuellement, avec ces nouveaux contrats, ils n’en ont plus le droit. Les femmes se retrouvent sans terres à cultiver et l’ensemble de la population doit se déplacer afin d’acheter les produits de base au marché. La sécurité et la souveraineté alimentaire des habitants s’en retrouvent fortement menacées.

Informations supplémentaires recueillies auprès des femmes
Avec l’arrivée de l’entreprise, les femmes nous informent qu’elles n’ont maintenant plus de terres et qu’elles ne peuvent plus le produire. Elles ont du mal à trouver le manioc à bon prix. Selon elles, la compagnie est venu avec des gens d’Abidjan et engage très peu les gens du village. Pour ce qui est de l’embauche des femmes, seulement deux jeunes femmes du village ont été employées pour la pépinière. Les femmes n’ont pas d’autres activités que la culture vivrière pour aller chercher des ressources financières. Leur activité était essentiellement la culture du manioc. Actuellement, un chargement de manioc fait 150 000 FCFA. Avant, le prix s’élevait à 60-70 000 FCFA.
On remarque que lorsque l’on pose des questions plus précises, les femmes n’arrivent pas à répondre et affirme que c’est les hommes qui ont l’information. En ce qui a trait aux relations familiales suite à l’arrivée de l’entreprise : « Il y a eu des changements dans les relations, quand personne n’a plus rien. Ni l’homme, ni la femme… C’est pas ça quoi ». Les femmes sont plutôt évasives lorsque des questions sur des changements sur les relations familiales sont posées. Bien qu’elles affirment avoir tout fait pour contrer les effets néfastes joints avec l’arrivée de l’entreprise, les femmes n’arrivent pas à exprimer les actions posées. Dans le village, les femmes ne sont pas organisées en coopérative et le comité du village, créé suite à la demande de la que nous avons cité plus haut est exclusivement composé d’hommes. Seule une femme en fait partie. Cette dernière indique que cela fait un bon moment déjà qu’elle n’est plus invitée aux réunions de ce comité, mais semble gênée de nous en dire plus.

Informations supplémentaires recueillies auprès des jeunes
Pour les jeunes, il s’agissait aussi d’une occasion pour eux d’aller vers un plus grand développement. Ces derniers, n’ont pas eu accès au plan cadastre de la superficie occupée, ni au titre foncier, aucun papier administratif de la parcelle de l’usine.
Pour l’un des jeunes, administrateur de l’école du village, il est difficile pour lui d’accepter qu’il doive subvenir aux besoins académiques des nouveaux enfants venant avec les nouveaux venus du village travaillant pour la compagnie, alors que l’entreprise ne répond pas à ses promesses d’agrandir ladite école.

Les jeunes ont dénoncé la possibilité de l’usine au village notamment pour les questions environnementales. L’entreprise aurait dit aux populations qu’il s’agit d’une usine moderne et qu’elle ne fera pas de bruit. En rencontrant le sous-préfet, les jeunes sont allés se plaindre. Mais le sous-préfet à tout focalisé sur l’action du président des jeunes en affirmant qu’il voulait saboter le projet de l’usine. Le président des jeunes a refusé d’accepté son enveloppe de dédommagement, qu’il jugeait trop petite. On lui a dit qu’il ne respectait pas le titre foncier de Côte d’Ivoire. En tant que senoufo, il n’avait pas le droit d’être propriétaire.